Lorsqu'elle
fut jouée à Tokyo, voilà vingt ans, la pièce de Mishima, les
aigrettes, les dentelles et les robes à panier contribuèrent au
succès de la représentation, en donnant au public japonais le
sentiment de l'exotisme. Sur les bords de la Seine, c'est un sentiment
de familiarité, nuancé de nostalgie, qu'éveillera peut-être le
rebond des répliques : comme au clavecin, chaque phrase s'articule avec
une délicieuse précision où nous reconnaissons le meilleur de nos
formes classiques. Cette pièce française, née par hasard sous
d'autres cieux, ne trouve-t-elle pas sa véritable patrie en se
réintégrant à la langue de Racine et de Marivaux ? Mishima se
plaisait aux exploits. On peut mesurer sa maitrise à la perfection du
pastiche. Les Japonais, dit-on, s'ingénient à imiter : oui, comme nos
Renaissants, comme nos Classiques. N'est-ce pas, par un détour
dialectique, la plus parfaite leçon de devenir soi-même ? Cet
écrivain qui a poussé jusqu'à la mort l'attachement aux traditions de
son pays, choisit ici un modèle étranger, et reproduit les traits
essentiels du Théâtre occidental, en donnant à son oeuvre l'allure
déliée d'une performance de virtuose. Mais sous ces formes d'emprunt,
c'est le secret de son âme qu'il élabore... Douce, tendre et fidèle,
Renée de Sade, vous eûtes votre part dans le geste farouche du
guerrier qui s'éventra.
Maurice Pinguet - 1986