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Le Laboureur de Bohême

de Johannes von Saaz

Mise en scène : Christian Schiaretti

 

avec Didier Sandre, Serge Maggiani, Fabien Joubert

 

 

 


Tu demandes qui Nous sommes ? Nous ne sommes rien et Nous sommes pourtant quelque chose. Nous ne sommes rien parce que Nous ne possédons ni vie, ni être, ni forme; Nous ne sommes pas un esprit, Nous ne sommes ni visible, ni saisissable et Nous sommes quelque chose parce que nous sommes la fin de la vie, la fin de l'existence, la fin de l'être, et le début du monde. Une chose au milieu, entre les deux. Nous sommes un accomplissement qui fait tomber les hommes. Les géants doivent tomber devant Nous. Tout ce qui possède vie doit être transformé par Nous.

La Mort - Chapitre Seize

   

Article de Presse

Mercredi 29 octobre 2003


Didier Sandre, le travailleur radieux

Il est d'abord une voix musicale, envoûtante, qui capte l'attention. Dans la grande salle du TNP où Didier Sandre dit les premiers mots du Laboureur de Bohême « Destructeur acharné des gens, vous qui méprisez tout ce qui vit, assassin de tous les hommes, vous Mort soyez maudite » , on est conquis. Phrasé, souffle, diction tendre et précise, et cette musicalité frémissante, donnent au texte toute sa splendeur. Depuis toujours Didier Sandre travaille et il sait le faire oublier. En prime, il a l'art de plaire, belle carrure, traits fermes, beaux yeux, bref, en dandy pour Oscar Wilde ou un héros Claudélien, il a su imposer un style, d'une séduction mystérieuse, ondoyante. Derrière ce physique de beau gosse se devine une fragilité, une sensibilité qu'il a canalisées dans Tchekhov, dont il a été un parfait interprète, dans Ivanov mis en scène par Pierre Romans.

Après s'être offert une escapade dans un répertoire plus divertissant, Le Dîner entre amis, Les Couleurs de la vie à la Comédie des Champs-Élysées, il retrouve des terres familières, le TNP puis le théâtre des Gémeaux à Sceaux avec un texte puissant, Le Laboureur de Bohême, chef d'oeuvre de la littérature allemande du Moyen Âge de Johannes Von Saaz traduit par Dieter Welke et Christian Schiaretti, qui signe également la mise en scène. « Quand on a beaucoup joué, explique l'acteur, la question est de savoir ce qu'on veut partager avec les autres. J'avais abandonné les grands textes parce qu'il faut aussi aller voir ailleurs, connaître d'autres expériences. Revenir à l'essentiel avec ce Laboureur, c'est retrouver mon pays, revêtir un costume aimé. »

Bien planté sur scène, face au public, vêtu d'une canadienne et chaussé de solides brodequins, Didier Sandre est une force concrète, lumineuse. Il pleure la mort de sa femme, jeune, douce, aimable. Il ne se lamente pas, il accuse, il maudit. Il lutte mot à mot avec la mort. Serge Maggiani, épinglé par les faisceaux de lumière, apparaît, disparaît, insaisissable, inquiétant. La mort est certaine de son bon droit. Elle avance ses arguments : ils sont de taille. Tout homme sur terre ne sait-il pas que sa perte est inscrite depuis l'origine des temps ? Aucun ne lance des injures à la tête de l'autre, mais chacun raisonne, analyse, soupèse. Un texte puissant au verbe éclatant.

« Ce texte, je l'ai pris en charge, c'est indispensable, reprend Didier Sandre. Le piège serait d'être pleurnicheur. Il faut l'éviter à tout prix. Dans la situation où il se trouve, il y a de la colère, de la révolte. La mort est apaisante. Peu à peu, le deuil se fait, c'est-à-dire qu'il assimile la souffrance. Je trouve dans ce texte de profondes résonances avec une partie de ma vie, et j'aime ce parcours qui débute bille en tête et s'achève dans l'apaisement. » Il dit sa difficulté à apprendre ce texte. « Je doute toujours de moi au début des répétitions et ce n'est pas une coquetterie. Ce qu'on sait n'est capitalisé que très tardivement. »

Enfant du théâtre public, Didier Sandre, fils de Vitez le fusionnel et de Chéreau l'incandescent, reconnaît avoir fait son trou dans ce métier à coup « de volonté et d'orgueil. Être en rupture avec son milieu familial ne va pas sans souffrance. De mon enfance, j'ai conservé des points de repère essentiels, le goût du travail et un sens de la morale ». Avec Schiaretti, il partage le même « discours sur la langue. J'aime qu'il place le poète à la première place ». Mais il aime jouer de la même façon Oscar Wilde et Paul Claudel et reconnaît « la difficulté d'aborder certains textes. Ils sont plus faciles à entendre, et je pense aux pièces que j'ai pu jouer dans les théâtres privés, mais ils ne sont pas plus faciles à jouer. Bien au contraire. »

Et il dit son bonheur d'interpréter prochainement Feydeau. « Il y a très longtemps que j'en ai envie. » Aussi quand Claudia Stavisky, directrice du théâtre des Célestins à Lyon, lui propose en avril Monsieur Chasse, il accepte tout de suite. « Les contraintes données par l'écriture me fascinent. J'attends avec impatience de savoir comment aborder Feydeau. C'est une aventure excitante. » Il la partagera avec Bernard Ballet, autre bel acteur qu'on a également très envie de voir dans un vaudeville. « C'est une écriture qui contraint l'acteur à la bonne humeur. J'en ai besoin. Il faut alterner les projets. Seul le travail compte. » Le travail, maître mot de cet acteur qui reçut le prix de la critique pour Almaviva du Mariage de Figaro mis en scène par Jean-Pierre Vincent et un Molière pour le rôle du dandy d'Un mari idéal d'Oscar Wilde des rôles dont il avait extrait tout le comique. Mais sa palette est riche. Avec Le Laboureur, on vibre avec lui à sa douleur. L'humeur blagueuse ou douloureuse, Didier Sandre n'en finit pas de labourer les planches pour notre plaisir. 

Marion Thébaud